Extrait du journal

Voici janvier. Les nuits d'hiver sont glaciales ; mais, bien avant le chant du coq, l'homme se lève, bat le briquet pour allumer la vieille lampe à huile accro chée au mur que la fumée de l'âtre a noirci. Il souffle sur les tisons, ensevelis la veille sous la cendre, ranime le feu avec des brindilles de bruyère, des sarments secs et les branches mortes des maquis. La haute flamme éclipse la lueur de la lampe, hanté de son esprit ailé les soli ves noires du toit, dissipe les phantas mes qui se sont introduits au Jogis pendant le sommeil. Car, avant le soleil, le feu doit éclairer la demeure rustique et le repos des enfants. L'homme décroche sa besace, où il a mis, au moment de se coucher, du pain biscuité, du fromage et du lard, la passe ensuite en bandoulière ainsi que la gourde et la rude corde tressée avec la toison des chèvres. Il pousse la porte qu'il ne ferme jamais, aspire l'air vif de l'ombre, l'odeur fraîche de la terre, lève les yeux pour scruter le ciel dont il connaît les astres. Là-bas, l'étoile du berger veille encore et la lune semble le signe héraldique de la nuit. Suivi de son chien, aux longs poils et dont la queue retombe en volute, il va vers la fontaine, sous le chêne, à l'en trée du village, pour remplir sa gourde. Puis, il s'engage dans un sentier pier reux où sonnent ses lourds souliers. Par moments, il s'arrête, il écoute ; i lais il n'entend que le vent dans les feuillages entrelacés, quelques bêlements de chè vres, de brebis ou l'aboiement inquiet d'un chien de berger....